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Le rôle du cacaoculteur pour un chocolat de qualité

Le rôle du cacaoculteur dans la chaîne aromatique du chocolat fin

La réalité est que dans le chocolat, différents arômes vont se superposer tout au long de son élaboration :
On notera les arômes de constitution ou arômes primaires que l’on trouve dans la fève fraîche et qui sont le résultat du choix de variété botanique du cacaoyer ainsi que du choix du terroir.
On notera également les arômes thermiques ou arômes tertiaires, fortement chocolatés, issus de la torréfaction pratiquée par le chocolatier ; mais ces arômes thermiques ne pourront exister que si le cacaoculteur a parfaitement conduit la fermentation des graines de cacao après leur récolte.

Car oui, c’est bien le cacaoculteur qui est en charge de la création des arômes dits fermentaires ou arômes secondaires.
Sa mission aromatique consiste en une suite d’opérations dont une, nous allons le voir, est particulièrement décisive.

1ère opération : bien conduire la récolte des graines, futures fèves de cacao…

En dehors des incidences qualitatives dues à la variété de cacaoyer et du terroir, certains facteurs intervenant au moment de la récolte déterminent également la qualité du chocolat fini.
Le premier facteur primordial et déterminant est la bonne maturité des cabosses. Cette maturité se juge à la couleur. Selon les arbres, les cabosses vertes mûrissent jaunes et les rouges mûrissent orange.
Le manque de maturité se traduit par une faible teneur en beurre de cacao dans les fèves et par la difficulté de conduite d’une bonne fermentation qui conditionne le bon développement des précurseurs d’arômes.
La sur-maturité est une source de problèmes qualitatifs. Elle peut aboutir à une fermentation difficile, mais aussi crée des risques de pourriture, synonyme de problèmes microbiens et favoriser le développement d’odeurs désagréables qui ne disparaîtront pas complètement à la fabrication et que l’on retrouvera dans le chocolat

En résumé, le bon chocolat est donc fabriqué avec des fèves issues de cabosses, mûries jusqu’à leur terme, sans le dépasser ce qui semble évident et facile à respecter. Un tel travail nécessite cependant d’étaler la récolte sur plusieurs semaines pour un même arbre car toutes les cabosses n’arrivent pas à maturité à la même date. La facilité pour certains agriculteur peu scrupuleux, ou bien à qui on ne donne pas les moyens de l’être, consiste à ramasser en un minimum de passes pour gagner du temps.
La qualité est ainsi fonction du temps dont on dispose, ou qu’on se donne !
Il y a là un parallèle facile à faire avec la cueillette « picking » des grands cafés ou des grands thés d’excellente qualité.

2ème opération : récupérer le cœur du fruit (ou cabosse) en pratiquant un écabossage de qualité

L’écabossage des fruits récoltés consiste à ouvrir les cabosses pour en extraire les graines et la substance qui les entoure et qu’on nomme le mucilage.

Pour garantir la qualité future du chocolat un certain nombre de précautions doivent être prises…
Pour provoquer l’ouverture de la cabosse, il est préférable d’utiliser un bâton plutôt qu’un outil tranchant. Ce dernier peut couper les graines ce qui peut déclencher le démarrage de développements microbiens.
Il est également préférable de pratiquer l’opération d’écabossage quelques jours après la récolte. Les graines peuvent perdre ainsi de l’acidité. Bien entendu le stockage intermédiaire des cabosses récoltées et non écabossées doit se faire en toute sécurité, à l’abri des microbes et des insectes.
Les graines extraites doivent ensuite être soigneusement préparées pour l’opération de fermentation. Les graines et toute la substance mucilagineuse qui les entoure sont réparties régulièrement dans des bacs spéciaux, munis de trous d’écoulement sur le fond.

3ème opération : conduire la fermentation des graines, futures fèves de cacao

C’est l’étape décisive.

Cette opération est primordiale, très délicate et complexe, elle fixera ou ne fixera pas, de façon rédhibitoire, une grande partie des qualités aromatiques futures du chocolat.
L’importance de cette étape n’est pas sans rappeler celle de la fermentation alcoolique des raisins après la vendange, même si les 2 opérations sont en fait assez différentes.

Faite à la ferme, l’opération de fermentation se pratique tout de suite après l’écabossage (dans les 8 heures qui suivent). Elle consiste à transformer la récolte de graines directement sorties de la cabosse, en fèves « stabilisées » et prêtes pour le travail du chocolatier.
Cette opération durera généralement de 5 à 6 jours.
L’opération de fermentation des graines consiste à déposer les fèves pendant 5 à 6 jours, dans des grands paniers ou des caisses en bois.

Au cours de la fermentation un certain nombre de réactions biochimiques vont se dérouler, soit sur la substance mucilagineuse qui entoure les graines à l’intérieur de la cabosse, soit directement sur la graine elle même.

La fermentation démarre sous l’action des levures apportées de diverses manières : mains des agriculteurs, matériels, insectes, …

Au cours de la fermentation, la pulpe mucilagineuse disparaît complètement, seules les graines fermentées subsistent. Elles seront ensuite séchées et seront alors baptisées fèves, prêtes pour rejoindre la chocolaterie.
Les réactions biochimiques qui constituent la fermentation créent de véritables composés aromatiques qui se logeront dans les graines et se révèleront d’un intérêt primordial plus tard, notamment au moment de la torréfaction des fèves.
En d’autres termes, une fermentation mal conduite enlève toutes ses chances au chocolat d’être bon, gâchant définitivement la récolte en lui ôtant toute qualité aromatique.

Décrire en détail le processus scientifique de fermentation serait peu attrayant pour des non professionnels. Il faut simplement préciser que plusieurs types de fermentation se succèdent (alcoolique, lactique, acétique) avec des phases bien déterminées (anaérobie, aérobie).
Il est en revanche intéressant de démontrer ce qui, dans la fermentation, peut provoquer une amélioration ou une baisse de qualité aromatique du chocolat fini et de décrire le processus de formation des précurseurs d’arômes.

Pour décrire ce processus, il faut rappeler les deux éléments contenus dans une cabosse : la substance mucilagineuse et les graines. La fermentation proprement dite se produit sur la substance mucilagineuse, très chargée en eau, et qui dès son contact avec l’air est « contaminée » par les micro-organismes de toute sorte. La série des fermentations alcoolique, lactique, acétique démarre alors. Chacune sera surveillée et conduite afin de provoquer les meilleures réactions possibles sur les fèves.
Ces fermentations sont accompagnées du brassage des graines.
Car ce sont bien les réactions physico-chimiques et biochimiques sur la graine (future fève), qui en modifient directement les caractéristiques, préparant ainsi les bases d’un bon produit pour la torréfaction.

Les conséquences de la fermentation sur la qualité du chocolat sont multiples :

  • Une bonne fermentation entraîne la disparition, à l’intérieur des graines, d’une partie des deux alcaloïdes que sont la théobromine et la caféine. Cette disparition a pour effet d’en diminuer l’amertume. « L’amertume noble » qui subsiste devient alors un facteur de qualité et non une saveur désagréable.
  • Les précurseurs d’arômes, indispensables à la genèse des arômes sont développés par la transformation des substances complexes de la substance mucilagineuse. La principale transformation consiste en la production d’acides aminés et de sucres réducteurs, glucose et fructose, tous deux précurseurs de ce qu’on appelle « la réaction de Maillard ». Celle-ci se produira plus tard, au moment de la phase de torréfaction et « révèlera » une partie importante des arômes du chocolat.
  • D’autres réactions complexes abaisseront également la teneur en polyphénols, vulgairement appelés les tannins. Une diminution qui peut atteindre 70 % à 80%, et abaisse l’astringence tout en facilitant le développement des arômes.

Voilà ce qu’une fermentation bien conduite apporte normalement aux fèves et donc au chocolat qui en résultera.

Lorsque la fermentation n’est pas correctement réalisée, les conséquences peuvent s’avérer très graves :

  • L’arrêt total de la fermentation produit des fèves dites ardoisées, c’est à dire impropres à l’utilisation pour fabriquer un chocolat de qualité, car très amères, acides et astringentes.
  • Une fermentation trop courte ne permet pas de développer les précurseurs d’arômes et n’abaisse ni l’amertume ni l’astringence.
  • Une fermentation trop forte développera des précurseurs d’arômes indésirables et donc des arômes indésirables, notamment putrides (off-flavors).

Même si cette liste de conséquences n’est pas exhaustive, on saisit en la parcourant toute l’importance d’une bonne fermentation, maillon obligatoire de la chaîne qui peut tout gâcher ou au contraire tout préparer idéalement pour la suite du processus menant au chocolat fin ayant d’importantes qualités aromatiques.

4ème opération : sécher et stocker les fèves de cacao

Le séchage des fèves de cacao

Après fermentation, les fèves contiennent encore 55% à 60% d’eau. Le séchage doit abaisser cette teneur à 7% pour permettre une bonne conservation des fèves avant leur torréfaction.

A priori anodine et sans risque, la technique de séchage peut influer sur la qualité du chocolat, sachant qu’il existe deux méthodes principales : le séchage naturel et le séchage artificiel.

  • Le séchage naturel s’effectue en disposant les fèves en plein air, sur des claies ou à même le sol. C’est à cet instant que la tradition dans certains pays producteurs veut (ou voulait) que le cacao soit « dansé ». C’est le cas à Chuao au Venezuela par exemple.
    Cinq centimètres maximums de fèves seront répartis et brassés plusieurs fois par jour, ou « dansé », c’est à dire remués avec les pieds en dansant littéralement sur le sol rempli de fèves de cacao.
    Pendant cette période d’exposition et de brassage en plein air qui dure de une à deux semaines, selon les conditions météorologiques, l’acidité volatile aura le temps de s’échapper. Bien entendu en cas de pluie les fèves seront protégées ou retirées.
    Cette méthode ne présente pas que des avantages d’autant que certains agriculteurs n’hésitent pas à utiliser des feux de bois pour accélérer le séchage. Cette pratique entraîne souvent des odeurs indésirables provoquées par la fumée. La plus connue est l’odeur dite de jambon que l’on retrouve quelquefois jusque dans le chocolat.
    Une autre critique peut être adressée aux agriculteurs qui n’attendent pas l’abaissement à 7% d’humidité des fèves pour arrêter l’opération de séchage. Les fèves stockées mais insuffisamment séchées risquent de moisir menaçant gravement la qualité aromatique du futur chocolat.
  • Le séchage artificiel s’effectue à l’intérieur de séchoirs spéciaux équipés pour produire, chaleur et ventilation.
    Le contrôle de l’opération semble plus facile puisque la météo n’intervient pas dans le processus, mais cela n’exclut pas les risques de goût de fumée et de jambon, lorsque les fèves sont en contact avec la fumée produite par la source de chaleur.
    L’inconvénient majeur du séchage artificiel est qu’il ne permet pas à l’acidité volatile de s’échapper facilement des fèves. Cette acidité reste très présente jusque dans le chocolat où il est malheureusement facile de la retrouver.

Le stockage des fèves de cacao

Pour éviter tout problème, le stockage doit si possible être fait à température et humidité contrôlées, à l’abri des risques microbiens et des risques d’attaque par les insectes. Il est essentiel d’éliminer toute odeur ambiante indésirable que les fèves absorberaient et que nous retrouverions dans le chocolat.

En définitive, le travail de l’agriculteur ne se résume pas à choisir puis à faire pousser le cacaoyer et à en récolter les fruits. Les opérations qui se déroulent localement après la récolte des cabosses sont nombreuses, elles comportent des risques, et elles déterminent en grande partie la qualité aromatique du futur chocolat.

Finalement peut-on contrôler la qualité aromatique des fèves de cacao à la sortie de la ferme ?

Il existe des systèmes de contrôle très rodés qui permettent de contrôler la qualité des fèves en sortie de la ferme.
Mais ce sont des systèmes destinés à contrôler la qualité sanitaire des fèves (système du cut test). Il ne s’agit pas de contrôler la qualité et le potentiel aromatique des fèves.

Progressivement les techniques modernes permettent de mettre en place des solutions d’analyse aromatique des récoltes, par exemple, la chromatographie appliquée directement aux fèves de cacao.

Il est aussi possible est très intéressant de se livrer à une dégustation en bouche des fèves de cacao. Il s’agit là d’un exercice délicat et difficile mais au combien révélateur des différences qui peuvent exister à ce stade de la filière chocolat.

Voici par exemple les résultats d’une dégustation qui a porté sur des fèves de cacaos fins aromatiques. Nous avons dégusté une trentaine d’échantillons. Plusieurs provenaient de la même région ce qui permettait des contrôles, des recoupements ou des comparaisons en fonction de l’âge des fèves.

Voici les principaux résultats de notre dégustation :

Cacao de la Jamaïque (3 lots dégustés)

  • une très forte odeur de fromage
  • acidité moyenne
  • amertume moyenne (1 lot plus amer)
  • moyennement astringent
  • arômes d’iode, de celluloïde, de bonbon anglais

Cacao de la Dominique (3 lots dégustés)

  • pas ou peu d’odeur caractéristique
  • acidité moyenne
  • amertume moyenne
  • astringence moyenne
  • beaucoup d’arômes : amandes, fruits, fleurs, épices, réglisse

Cacao de Sainte Lucie (3 lots dégustés)

  • légère odeur de cacao
  • acidité moyenne
  • amertume prononcée
  • astringence moyenne
  • arômes bien marqués : noisette, olive, olive noire

Cacao de Grenade (3 lots dégustés)

  • odeur de chocolat
  • goût de cacao bien prononcé
  • forte acidité
  • amertume moyenne
  • astringence moyenne
  • beaucoup d’arômes : légumes, fruits, fromage, olive salée

Cacao de Trinidad (3 lots dégustés)

  • peu d’odeur
  • goût de cacao peut prononcé
  • forte acidité
  • amertume moyenne à forte selon les lots
  • astringence moyenne
  • arômes très nombreux : beurre laitier très marqué, olive, sauce soja

Vénézuela Carenero supérieur (2 lots dégustés)

  • pas d’odeur
  • goût de cacao très intense
  • acidité moyenne
  • forte amertume
  • forte astringence
  • arômes nombreux : bois, herbes, beurre, noisette, caramel

Vénézuela Sul del Lago (Maracaïbo) (3 lots dégustés)

  • odeur de cacao bien marquée
  • goût de cacao extrêmement intense
  • peu d’acidité
  • amertume très marquée
  • astringence bien marquée
  • nombreux arômes : beurre, noisette, bois coupé, tabac blond

Vénézuela Porcelana (3 lots dégustés)

  • odeur de bois
  • goût de cacao bien prononcé
  • acidité moyenne
  • amertume présente
  • peu astringent
  • beaucoup d’arômes : noisette fraîche (très très prononcée), beurre

Équateur Arriba (2 lots dégustés)

  • peu d’odeur
  • acidité faible
  • amertume très prononcée
  • astringence très présente
  • arômes nombreux : bergamote, fleurs, olives (pas de rose !)

Madagascar (3 lots dégustés)

  • peu d’odeur et de goût cacao
  • acidité très prononcé (acétique)
  • amertume faible
  • astringence moyenne
  • arômes nombreux : fruits rouges trop murs, noisette et amande, épices

Le cacaoculteur travaille les fèves de cacao comme un aromaticien

N’oubliez jamais que la qualité aromatique de votre chocolat est certes le fruit du travail du chocolatier, mais que ce dernier ne peut vraiment développer une belle palette aromatique que si le cacaoculteur a bien travaillé en amont en véritable aromaticien.